Playlist mise a jour !
Je reprends le cours des choses au début de notre périple le long de la Carretera Austral, à notre arrivée à Coyhaique, de loin la plus « grande ville » de la région, avec une cinquantaine de milliers d’habitants. Cela donne une idée de la densité de population des coins que traverse cette fameuse route dont on doit la création, avec un titanesque chantier dans la Cordillère, à Pinochet, qui voulait développer cette région complètement isolée du Sud du Chili. Et ce fut un succès, même si le projet a coûté quelques dizaines de vies, et que certains tronçons restent de la simple piste parfois en piteux état. Ça nous a d’ailleurs valu quelques petites séquences un peu tendues, avec notamment un passage alliant montée vertigineuse, adhérence très médiocre, et nids de poules. Mais notre Francisco s’en est honorablement sorti, et on se félicite encore d’avoir choisi un moteur costaud avec propulsion et un camion pas trop bas ! Cette route a donc permis un certain développement de la région, avec notamment la salmoniculture et l’exploitation du bois. Et même si ces deux activités ont été et sont nocives pour l’environnement qui est loin d’être une priorité pour les gouvernements chiliens, cette partie du Chili reste globalement un immense coin de nature sauvage rassemblant volcans plus ou moins actifs, glaciers, forêts parfois millénaires, innombrables rivières, et faune et flore fourmillantes. Certains sentiers nous ont fait traverser une véritable jungle tempérée, avec une humidité et une densité de végétation assez incroyables. Heureusement, une partie de ces oasis de nature est protégée par des parcs naturels, payants au Chili (tout est payant au Chili, le néolibéralisme étant la religion d’état), et souvent privés. Je pense notamment au fabuleux parc Pumalin qui fut créé par Kris et Douglas Tompkins, fondateurs des marques The North Face et Esprit, et qui ont investi une grande partie de leur fortune pour la protection de cet immense espace dont la gestion a été confiée à l’état chilien. Bien joué les gars, exemple à suivre !
Nous passons donc deux jours à Coyhaique, qui ne présente aucun intérêt en dehors de son jardin d’enfant géant (souvenir n°1 du Chili pour les filles) pour gérer la maintenance habituelle. Nous allons ensuite faire un tour dans la petite réserve juste à côté de la ville, où nous nous offrons une balade de 8km allez retour à fond la caisse avec les filles sur le dos pour rentrer avant la fermeture du parc. On y découvre un petit lac (Laguna Verde) et quelques beaux miradors sur la vallée de Coyhaique.
On se dirige ensuite vers un autre petit parc, le long du Rio Simpson, puis on dort dans un magnifique spot au cœur de la vallée de ce même rio, au pied d’un petit pont suspendu.
On attaque alors la deuxième partie de la Carretera Austral avec une semaine de pluie, ce qui rend de nombreux sentiers de rando difficilement praticables du fait de la boue et du gros risque de gamelle qu’elle entraîne, un risque qu’on ne peut pas prendre avec un enfant sur les épaules. On traverse donc le réputé parc Queulat en ne s’arrêtant que pour voir le Ventisquero Colgado, un impressionnant glacier suspendu le long d’une falaise.
Nous rencontrons un soir trois Chiliens de Santiago, à peu près de notre génération, avec qui nous partageons un magnifique spot-dodo, sur une falaise face aux îles qui forment l’archipel nous séparant du Pacifique. Un spot-daudau également, car présenté sur ioverlander comme propice à l’observation des dauphins (les amateurs d’humour se régalent), que nous n’aurons finalement pas la chance de voir. Nous partageons une bière et ils nous font goûter du pisco, la fameuse boisson nationale faite de raisin distillé. Costaud mais plutôt bon, même si leur cocktail personnel, à base de coca, ne vaut pas le délicieux Pisco-Sour que notre pote JB, grand maître cocktailiste, nous a fait goûter avant notre départ. On parle un peu de rugby, que l’un d’entre eux pratique, et du tournois des 6 nations que la France s’apprête à gagner haut la main, selon mon père qui me donne régulièrement des nouvelles fraîches mais peut-être pas toujours impartiales. Et puis on finit évidemment par évoquer les récents mouvements sociaux qui ont bloqué Santiago pendant plusieurs mois, et occasionné de nombreux blessés et même des morts suite à une répression des plus musclées, le gouvernement ayant rapidement fait intervenir l’armée pour contrôler les manifestations, rappelant des épisodes sombres de l’histoire récente du pays. Histoire qui selon nous explique largement l’ampleur du mouvement : une dictature militaire à l’origine de milliers de morts et torturés, et de la mise en place d’une politique ultralibérale avec privatisations à outrance aboutissant sur un secteur public de piètre qualité ou inexistant, un écart extrême entre riches et pauvres, et une exploitation à outrance des ressources naturelles sans considérations écologiques. Et même si la dictature est finie depuis 30 ans, ce cap politique a été maintenu depuis malgré de multiples mouvements sociaux, entre autres grâce à une constitution héritée de la dictature, de ce qu’on a compris. Le mouvement social actuel a d’ailleurs fini par aboutir sur l’organisation d’un référendum pour ou contre une nouvelle constitution, qui aura lieu en avril. Malgré ce tableau caricatural d’un état qui ne protège pas les droits les plus élémentaires d’une importante partie de ses citoyens, nous sommes très surpris de réaliser au fil de la discussion avec nos trois amis que ceux-ci défendent le système en place. Ils nous expliquent que cette politique, et la dictature, ont permis au pays de sortir de la pauvreté dans laquelle le président socialiste, Salvador Allende, fraîchement élu au moment du coup d’état, l’avait plongé notamment avec sa politique de nationalisation de certaines grandes entreprises par exemple dans le domaine du cuivre, ressource majeure pour le pays. Nous ne lirons que plus tard que l’échec d’Allende était à tempérer entre autres par les embargos des Etats-Unis dans le contexte de guerre froide et de phobie du socialisme, et le soutien de Pinochet par la CIA. L’impression que nous avons à l’issue de cette surprenante conversation est qu’une bonne partie des chiliens issus de classes favorisées redoute profondément le socialisme qui a connu beaucoup d’échecs dans (la sanglante) histoire récente de l’Amérique Latine. Et ce malgré le fait que la corruption, grand fléau local, a de la même manière mené à l’échec les politiques de droite (cf le voisin argentin), et que les États-Unis ont toujours fait en sorte de garder le contrôle sur ce continent, pour leurs propres intérêts. Pour autant, l’avis d’une partie non négligeable des chiliens semble être que la belle percée économique du Chili par rapport à ses voisins depuis quelques dizaines d’années justifie les inégalités profondes, le recul de la démocratie, et la perte de souveraineté du fait des privatisations à outrance. À méditer, par les temps qui courent… Et OK ça fait un peu analyse de comptoir, on essaiera de creuser d’ici notre retour ! En tout cas ce fut une super soirée de discussions assez passionnées mais dans une super ambiance, en buvant du pisco !
Le lendemain, avant de partir, Nanie aperçoit deux gros rapaces sur une falaise à 10 mètres de nous. Noirs, la tête déplumée et un regard de tueur : des condors ! Ne me demandez pas pourquoi, j’ai toujours rêvé de voir des condors. Un Tintin qui m’a marqué je crois… Je sors les jumelles, on prend 1000 photos, je m’excite comme un puceau, et 2 semaines plus tard on nous explique que c’était pas des condors (plus petit, pas la même tête, rien à voir en fait). Ce sera pour une autre fois, mon vieux Milou.
On poursuit notre route vers Puerto Puyuhapi où on se fait un resto génial : une serveuse désœuvrée nous occupe les petites pendant qu’on se piche une bouteille de Casillero del Diablo. Parfait. Notre serveur est un peu trop beau gosse et charmeur pour moi au début (Nanie n’ayant soit disant pas remarqué), mais avec le rouge je finis par succomber moi aussi en gloussant de rire devant ses tentatives de parler en français, #tropmignon <3. Notre étape suivante a lieu au fameux parque Pumalin que j’évoquais plus haut, dans sa partie Sud. On y fait une chouette balade dans la forêt humide. Les filles commencent à prendre goût à la balade, courent devant à tour de rôle, et s’intéressent de plus en plus aux bruits, ruisseaux, plantes que l’on croise. On réussit parfois à faire plusieurs kilomètres sans les prendre sur nos épaules, à un bon rythme. D’ici la fin du voyage on arrivera peut être à faire des rando un peu plus ambitieuses, avec nos sacs pour les porter en cas de fatigue et mini tente 2 secondes spéciale sieste de trolls. Au niveau des activités du moment, Nanie les fait dessiner de plus en plus souvent, elles adorent. Oli arrive à faire des formes comme des spirales ou des ronds, et Lolotte reconnait de mieux en mieux les couleurs. Lolotte est d’ailleurs depuis une ou deux semaines en train de commencer son « boom de la parole » comme nous l’avait fait Oli il y a quelques mois : elle fait tout d’un coup des petites phrases, prononce des mots à plusieurs syllabes, exprime mieux ses demandes. Cette évolution fulgurante ne l’empêche pas de nous rappeler régulièrement qu’elle a encore du chemin à faire, comme par exemple quand on la voit arriver en pleurant, la bouche coincée grande ouverte à cause d’un cube, ou quand elle essaie de faire refroidir sa purée en soufflant par son nez morveux. De mon côté, j’essaie de me remettre à leur sortir le petit piano/xylophone et le shaker, après un premier échec il y a quelques mois, et ça parait prendre un peu plus cette fois-ci. Nanie passe ses siestes à lire des journaux, notamment courrier international qui la passionne, et de mon côté je prends enfin le temps de faire du solfège sur des chaînes youtube, et je gratouille un peu ma guitare pour mettre en pratique.
Le lendemain, nous roulons quelques km de plus pour nous rendre aux Termas Amarillas. Ce sont deux piscines d’eau chaude thermale à 35/40°, en plein milieu de la montagne. On réussit à y faire rentrer les filles tout doucement et on y passe une heure très agréable.
Nous terminons notre périple de deux semaines sur la Carretera Austral par la partie nord du parque Pumalin. On fait une belle balade au milieu d’alerces, des arbres pouvant attendre 50m de haut et 3/4000 ans, et une autre plus rude nous menant à d’imposantes cascades.
On revient alors à Chaitén où on doit prendre notre bateau pour l’île Chiloe. On y rencontre les Lillibussiens, une famille française qui se balade en vieux Volkswagen Transporter façon hippie. Ils sont 4, avec deux enfants : une fille de 12 ans, Ian, et Ruben, 10 ans. Ces deux-là sont adorables et sont ravis de jouer avec Lolotte et Oli, elles-mêmes aux anges. Et ça nous laisse le temps de faire connaissance avec Roxanne et Alex, des baroudeurs confirmés qui en sont à leur deuxième grand voyage en Amérique. Ça tombe bien, Oli et Lolotte étant assez pénibles ce jour-là : la première avec son bobo au genou qui, selon l’humeur, entraînait une grave boîterie du fait d’une douleur intolérable, ou se faisait complètement oublier. Lolotte de son côté avait décidé de s’arrêter toutes les 2mn de marche (aucune exagération) pour baisser son pantalon et faire semblant de faire pipi dehors comme sa grande sœur.
Le lendemain matin nous prenons le bateau avec les Lillibussiens pour Chiloe, où nous attend notre pote fanfaron Barbie !
La suite très vite…