Nous voilà donc arrivés à San Martín de Los Andes, première étape de la fameuse « route des lacs » qui correspond à une portion de la RN 40 (prononcer ruta cuarenta, un mythe en argentine comparable à la route 66 aux Etats-Unis). Cette portion a la particularité de serpenter dans la montagne de lac en lac, une demi-douzaine au total, tous plus magnifiques les uns que les autres. C’est un peu comme Rome, version nature : où que tu t’arrêtes, tu n’as qu’à ouvrir les yeux pour être émerveillé. Les lacs sont donc bordés par des montagnes couvertes de forêts, aux cimes parfois encore enneigées, que l’on peut contempler depuis une des innombrables petites plages de galets où il est possible de se baigner si l’on n’a pas peur de la fraîcheur de l’eau. Mais ça reste correct, les filles s’y trempent les fesses sans trop de problème, on doit être autour de 18° voire parfois 20°, ce qui n’est plutôt pas mal pour un lac de montagne…
San Martín est une des grandes haltes touristiques de la région des lacs, avec Villa la Angostura, Bariloche, et El Bolsón. C’est une très belle petite ville située dans une vallée au bord d’un lac de montagne très carte-postalesque. L’atmosphère est celle d’un village de montagne avec ses chalets en bois qu’on imagine bien couverts de neige en hiver, même si en ce mois de janvier, c’est-à-dire en plein été ici, l’ambiance est plutôt au maillot de bain – poumpoum short – débardeur, que nous nous pressons d’arborer. Lolotte a d’ailleurs inventé la couche-tanga qui lui permet de se rafraichir le popotin sans laisser indifférents les bambins qui la croisent pour tout vous dire. On tolère ce détail étant donné que les filles ici sont en général en string sur la plage, parfois à 13/14 ans ! Oli, de son côté, n’hésite plus à déambuler façon jet-setteuse : mains dans les poches, lunettes de soleil sur le nez, d’un air désabusé. On est ici comme des poissons dans l’eau.
Nous atterrissons donc le 31 décembre sur un spot Ioverlander, à côté d’un petit jardin d’enfants et d’une station de bus, dans une petite rue calme et couverte d’arbres, comme dans la majorité des villes que nous croisons depuis le début de notre voyage. D’autres voyageurs y sont garés : un transporter des 70s retapé et joliment repeint maison façon hippie, comme on en voit énormément depuis le début de notre voyage. Ici c’est toujours un véhicule très bon marché pour les voyageurs locaux aux petits budgets, pas encore soumis à la hype qu’on connait en Europe, et aux prix qui vont avec. On voit aussi un vieux camion Mercedes, genre ancien bus des années 60/70 retapé. En sortant, on se fait tout de suite alpaguer par ces voyageurs qui sont installés autour d’une table pliante sur le trottoir. Ce sont des artisans itinérants qui viennent du nord de l’Argentine pour vendre leur production, pendant les 2 mois d’été où se tient un marché dédié. Ils nous proposent de venir passer la soirée du nouvel an avec eux, ce que l’on accepte volontiers, nous qui nous apprêtions à le fêter à 4 (et rapidement à 2). La soirée est vraiment géniale, on discute notamment avec Christian et Valé, deux argentins qui vivent avec leurs 3 enfants sur les routes depuis des années. Malgré leur faible niveau de revenus apparent, ils nous offrent à boire et à manger, avec notamment des tournées de délicieux empanadas sortant du four installé dans l’un des camions aménagés. La soirée se termine par des danses traditionnelles sur fond de grands éclats de rire. Nous passerons plusieurs autres moments tout aussi sympathiques avec nos voisins dans les 4/5 jours qui suivront, et garderons en souvenir une planche à découper en bois et un Christ sculpté !
Le premier de l’an, nous souffrons malgré tout un peu moins de gueule de bois que d’habitude, et Nanie trouve le courage de nous faire des crêpes qu’on avale en 10mn, notamment Olivia qui s’en envoie une quantité astronomique pour son appétit d’oiseau habituel. Les jours suivant sont marqués par deux belles balades donnant sur des miradors observant la ville et le lac, la plage, des glaces au dulce de leche, et un resto qui détient probablement un record sur l’échelle de nos restaurants catastrophiques : hurlements de lolotte qui démarrait en fait une petite fièvre, et surtout trempage volontaire de sa tutute dans les toilettes avant de la remettre dans sa bouche lors d’un geste d’une incomparable dextérité pour un enfant de son âge, sans que l’on ait eu le temps de faire quoi que ce soit. Du grand Lolotte, qui nous offrira deux jours plus tard son premier spasme du sanglot (pleurs sans respirer jusqu’à en perdre connaissance : plutôt effrayant sur le coup !). Il faut dire que je lui avais un peu forcé la main pour le brossage de dents.
Nous rencontrons aussi deux allemands qui se baladent dans un pick-up avec une toute petite cellule, et leurs deux enfants de 7 mois et 2 ans et demi. Un peu fatigués, et bientôt au bout de leur voyage, le père nous a offert un véritable moment d’extase quand il a vu notre camping-car Mercedes, nous disant que c’était le top du top, qu’avec ça on irait au bout du monde, pas loin de le prendre dans ses bras… Clairement, il était temps pour eux de rentrer en Allemagne ! Un peu comme si demain on croisait un food truck vendant du camembert rôti et du magret de canard BLEU… si seulement…
Nous quittons San Martín pour gagner Bariloche quelques jours plus tard, à la fin de la route des lacs, route dont nous n’aurons que peu profité du fait d’une météo pas très coopérante. Nous faisons étape à Lago Meliquina, un petit village perdu au bord d’un lac, après un petit détour de 15km de ripio, c’est-à-dire de chemin de terre et de caillasse non asphalté, où nous nous offrons un petit resto et une ballade écourtée par le vent et la pluie. Nous arrivons le lendemain à Villa La Angostura, une ville comparable à San Martín, où nous passons deux jours. On y goûte la spécialité locale, le chocolat, dans une mousse au chocolat mémorable, et on fait une ballade au Parque Los Arrayanes, une petite presque-île dans le grand lac Nahuel Huapi.
Nous arrivons ensuite à Bariloche, capitale de la province de Rio Negro, et dernière véritable grande ville avant l’immensité déserte de la Patagonie. C’est un grand pôle touristique servant de bases pour les randonneurs, skieurs, ou simples touristes venus visiter la ville réputée pour son cadre et son chocolat, une fois de plus. On n’y reste que deux jours car elle est aussi réputée pour être truffée de bandes organisées qui pillent les camping-car dès que les touristes ont le dos tourné. On décide donc de se garer et dormir dans un petit parking surveillé mais un peu tristouille, un peu comme un parking. Il nous sert de base pour une ou deux ballades dans la ville qui déborde de touristes, et qui n’est pas franchement magnifique en dehors bien sûr de l’incroyable paysage qui l’encadre. On avait pas mal entendu parler de son architecture, en fait il s’agit que quelques immeubles du centre-ville qui ont un peu de bois dans leur structure, rappelant vaguement des chalets, rien de plus.
On profite d’être dans une grande ville pour faire expertiser la petite fissure à l’arrière de notre camping-car et il s’avère qu’il vaut mieux la réparer nous même car les dégâts sont minimes et ne dépassent évidemment pas la franchise de notre assurance, qui par ailleurs ne nous remboursera finalement pas non plus tous les biens volés dans le bateau : Francisco aurait dû être expertisé en France pour ça. Ah, les assurances… Toujours là quand on n’a pas besoin d’elles.
Notre prochaine étape est El Bolsón, une petite ville touristique mais à l’ambiance très roots et alternative, pleine d’artistes de rue, car ayant initialement servi de sorte de jardin d’Eden pour des hippies en quête de nature et de tranquillité il y a quelques dizaines d’années. On y passe une grosse semaine géniale. Le soleil est de retour, et nous autorise quelques jours de flânerie au bord d’un lac de montagne (Lago Puelo, à quelques km de là), avec parillas, hamac, ballades, miradors, bières artisanales bon marché, frites-ketchup-mayo… En résumé le kit complet du Ptidid en baroude heureux. Seules ombres au tableau : un réveil express le premier matin où nous nous rendons compte que nous sommes garés en plein milieu d’un marché d’artisans qui nous font efficacement ressentir que nous n’avons rien à faire ici. Et aussi une petite après-midi parilla-sieste qui s’annonçait sympathique jusqu’à ce que nos voisins, très aimables jusqu’alors, décident de nous partager leur passion pour la musique électronique façon rave party.
Au passage, un garagiste débordé mais très aimable m’explique que le problème de démarrage que nous avons eu à deux reprises est probablement dû à un point un peu grippé dans le circuit de la batterie moteur, entrainant un faux contact, et me fait démonter une partie du circuit pour le nettoyer. Plus de problème depuis (intonation de fierté du bricoleur en herbe qui a réussi à réparer un truc).
Nous poursuivons pendant ce temps notre apprentissage de la vie de voyageurs avec enfants en bas âge, et des grandes règles immuables qui la régissent : ne jamais trop en prévoir dans la journée, et ne pas se faire piéger à décaler l’heure du repas et de la sieste, sous peine de crises de rage de nos trolls parfois bien longues à canaliser ! En fait c’est la seule véritable grande règle, mais il nous aura fallu quelques échecs mémorables pour comprendre qu’il n’y a pas d’alternative.
Après le désormais traditionnel forfait remplissage du réservoir d’eau / vidage des eaux usées et des toilettes (mon préféré) / courses au supermarché / essence et gonflage des pneus / +/- remplissage des bouteilles de gaz qui nous prend finalement pas loin d’une journée à chaque fois ; nous quittons avec regret El Bolsón et nous nous rendons au Parque Nacional Los Alerces. Les alerces, ce sont des arbres type Séquoia, pouvant atteindre 4000 ans et 60 mètres de haut). C’est un grand parc national plutôt isolé, où nous passons à nouveau quelques magnifiques journées (baignade dans le lac, balade jusqu’à une cascade magnifique, blabla… je ne vous la refais pas, se référer à l’ensemble des paragraphes précédents). Loin de toute pollution lumineuse, le ciel nocturne y est étoilé comme jamais, et on découvre qu’avec nos jumelles fraîchement acquises leur observation est encore plus impressionnante. Le tout sur fond de guitare et sèche et de crépitements de feu de bois plutôt que de jungle-hard-tech, notre nouveau voisin ayant des goûts musicaux un peu plus adaptés à la situation.
Notre récit du jour touche bientôt à sa fin avec notre dernière destination : la petite ville d’Esquel, à trois heures de notre étape précédente, dont deux de ripio à 15/20km/h. La ville est mignonne et calme, et on sent en y arrivant qu’on s’approche de la véritable Patagonie Argentine, avec tout le vent, l’aridité et la poussière qui la caractérisent.
L’ambiance en arrivant à Esquel est assez mauvaise : les 50km et deux heures de ripio m’ont fait accumuler un stress assez énorme. Déjà parce qu’en bon mec de base je suis stressé quand ce n’est pas moi qui conduis sur les portions pourries, et surtout parce que je supporte mal toutes ces secousses et vibrations, qui me donnent l’impression que notre camping-car va tomber en miettes tellement il est remué, et craque de partout. Pour couronner le tout, je me rends compte en arrivant que la partie basse d’une cloison interne a bougé, et c’est comme ça que la goutte d’eau fait déborder le vase : « je ne sais pas comment les autres font, mais moi je ne peux pas supporter l’idée que ce fichu ripio nous bousille notre Francisco chéri à petit feu ! » (En plus vulgaire. Beaucoup plus). Et je me demande sincèrement comment les autres voyageurs qui se baladent en camping-car en Amérique Latine font, d’autant que sans vouloir me la raconter, notre camping-car est loin d’être le pire niveau robustesse ! Je décide donc d’envoyer quelques messages sur les différents forums de voyageurs sur lesquels nous sommes inscrits, et le lendemain nous avons déjà un bon nombre de réponses rassurantes : un voyageur m’explique qu’il a réussi à ne faire que 2500km de ripio sur les 50000 de son voyage en Amérique latine. Plusieurs autres me disent que tout le monde connait ce problème, et qu’il faut se faire à l’idée qu’il y aura des petites réparations, ou parfois des grosses, à faire pendant tout le voyage, mais que ça fait partie du jeu, et qu’il est globalement facile de faire faire des réparations pour des sommes modestes, ce qui est vrai. Je suis franchement regonflé, et après plusieurs discussions, on décide malgré tout d’esquiver au maximum le ripio, ce qui achève mes derniers relents de frustration.
Cette décision se traduit par un franc changement d’itinéraire : nous n’irons pas en Patagonie du Sud, mais remonterons le Chili par la Carretera Austral dans sa portion de bonne qualité. Cela nous convient finalement sur tous les plans : on regagne le temps qu’on avait perdu, ce qui a son importance car certains pays doivent être visités à la bonne saison, entre autres cette portion du Chili qui est largement abreuvée de pluie toute l’année (certains mois de façon quasi ininterrompue…) sauf au mois de février. On s’évite plusieurs milliers de km de route monotone et quelques gros tronçons de ripio. Et on passera finalement la fin de l’été (février/mars) dans une région du Chili propice à la baignade dans l’océan et les lacs de montagne, plutôt qu’en Patagonie du sud où ça va sérieusement cailler. La contre-partie étant qu’on loupera des paysages incroyables, les glaciers, Torres del Paine et compagnie, mais ce sera remplacé par autre chose.
Mais revenons à nos moutons : notre arrivée à Esquel. Comme à chaque fois qu’on vient de se faire 2 ou 3h de route, la première chose que l’on cherche est un parc avec toboggan et balançoires pour dégourdir les gambettes des filles. C’est à cette occasion que nous rencontrons Xavier, Danielle, leur belle-fille Anne-Laure et son fils Gabriel de 8 ans, qui nous abordent après nous avoir entendu parler français et avoir vu notre rutilant Francisco parader devant le parc. Ils nous expliquent qu’ils sont en voyage depuis déjà 4 mois, et nous montrent leur camion, une espèce de monstre de 10 tonnes, et 4m de haut, avec des roues qui m’arrivent au nombril, au moins. Mais celui-là, c’est le petit : leur fils et belle-fille, Éric et Anne-Laure, se baladent en 20 tonnes ! Des machines de guerre, capable de rouler sur n’importe quel ripio, dans le sable, n’importe où… Ca fait rêver. Il faut dire que Xavier et Eric, en bons ingénieurs informaticiens qu’ils sont, ont l’air passionnés par à peu près tout ce qu’ils croisent, et notamment par la mécanique et le rallye. Éric est resté sur leur « spot-dodo », comme souvent une station-service, pour bricoler le camion, comme ils le font depuis une semaine environ, à la suite d’une grosse panne. Nous les rejoignons le lendemain soir et passons une chouette soirée avec eux à discuter de nos voyages respectifs, sur nos chaises de camping en face du parking de la station-service. Ils nous recommandent vivement d’aller au sud du Brésil où l’accueil qui leur a été réservé, il est vrai, est assez hallucinant. Pas une semaine sans être invités à manger où à dormir chez des gens, aisés ou modestes, en ville comme à la campagne. Des tonnes de rencontres. Ça donne à réfléchir ! Ils ont par ailleurs passé pas mal de temps immobilisés pour diverses pannes, et une conversation avec Xavier, bricoleur invétéré, se conclue sur une vérité qui peut paraître pénible mais assez rassurante finalement, une fois qu’on l’a acceptée : ici, les voyageurs en camions ne passent jamais une journée sans avoir un petit truc qui déconne, un petit truc cassé à réparer, etc. Le tout est de l’accepter, et de perdre l’habitude que j’ai personnellement, de toujours se dire « je règle tout et après je profite », sinon on ne profite jamais. C’est une autre organisation et façon de penser, que nous commençons à acquérir, et ça détend franchement. Finalement, réparer et bricoler des trucs, c’est assez marrant et j’aime bien faire mon Mc Gyver en herbe, ce qui est pesant, c’est de toujours être déçu que tout ne soit pas réglé. Une fois qu’on apprend à vivre avec et profiter malgré tout, tout roule ! Ou presque…
Le lendemain, Xavier qui a un véritable atelier dans son camion, me prête perceuse, échelle et compagnie, ce qui me permet de résoudre mon problème de cloison, qui en fait datait probablement de l’ancien propriétaire, et de refaire un joint sur le toit. Il nous répare même le ventilateur, ou « gentilateur » comme dirait Oli, en un coup de fer à souder. Ça fait plaisir !
Puis Éric nous propose d’aller faire un tour au bord d’un lac à 10km de là. Nous nous y retrouvons le soir, sans Xavier et Danielle finalement, mais avec un couple d’espagnols que nous avions croisé au Parque Los Alerces, au moment de notre départ. Nous avions alors juste eu le temps d’échanger quelques mots et nos numéros Whatsapp. Quisqueyra et Andrés sont deux jeunes médecins plutôt roots, hyper sympas, qui voyagent dans un Renault Master de 400 000km (!), jusqu’à ce que le budget soit à sec, ou que le Master trépasse. Et les journées sans ouvrir le capot sont assez rares, apparemment. On se retrouve donc le soir, avec d’autres connaissances des Alerces, un couple d’argentins qui roulent en Transporter retapé. On regroupe les tables et les plats façons auberge espagnole, on sort toutes les bières en stock, on fait manger les filles qui s’endorment aussi sec, et passe une soirée vraiment chouette à refaire le monde avec nos nouveaux amis.
Nous quittons Esquel le surlendemain, surmotivés, notre itinéraire en poche, et avec pleins de nouveaux copains en plus que nous recroiserons certainement pendant notre périple !
carine
janvier 30, 2020 at 11:00Merci pour tous ces beaux commentaires et ces superbes photos… bisous à vous 4
Nanie
février 4, 2020 at 2:38Merci Carine, gros bisous à tous les 5 !